La pandémie de Covid-19 a poussé les autorités à interdire l’entrée de voyageurs en provenance d’une dizaine de pays, dont la France.
L’île malgache de Nosy Sakatia a rarement si bien mérité sa réputation de petit paradis de carte postale. Plus rien ne vient troubler la beauté de ses paysages et de ses fonds marins. Pas même les touristes qui, habituellement, affluent vers ce sanctuaire de tortues marines géantes situé à dix minutes en bateau de la célèbre Nosy Be, l’île principale d’un petit archipel au nord de Madagascar. Depuis l’irruption de la pandémie de Covid-19, en mars, ils ont déserté les lieux.
« En vingt ans d’activité, on n’a jamais connu de saison comme cela », soupire Christine Marindaza, qui, avec son mari Richard – natif de l’île –, tient des bungalows sur la plage et un restaurant. « Pas de touristes internationaux depuis mars, seulement des résidents de Madagascar, malgaches ou expatriés… Ça ne représente rien sur un exercice et le pouvoir d’achat n’est pas le même non plus », renchérit Richard Marindaza en se servant une bière.
Le 1er octobre, le gouvernement avait pourtant annoncé la reprise des vols internationaux pour amorcer un redémarrage de l’activité touristique sur Nosy Be. Le président Andry Rajoelina s’y était déjà rendu en personne, fin juillet, pour rassurer les opérateurs. Mais le 23 octobre, la deuxième vague de l’épidémie sévissant en Europe a poussé les autorités à interdire l’embarquement vers Madagascar dans une dizaine de pays. Parmi eux, la France et l’Italie, qui représentent près de 95 % des touristes se rendant habituellement sur l’archipel de Nosy Be. Toutes les réservations effectuées pour novembre et décembre ont été annulées d’un coup, laissant les entrepreneurs désemparés.
La faillite menace
Lors des crises politiques passées, en 2002 ou 2009, le tourisme local avait déjà connu des périodes de creux. « Mais les gens continuaient de venir parce qu’ils ne se sentaient pas concernés par ce qui se passait à Antananarivo. Cette fois, c’est international. C’est la première fois que je vois nos îles si désertes », témoigne Christine Marindaza. Comme tous les opérateurs touristiques, le couple a bénéficié d’un report de charges octroyé par le gouvernement, mais il survit essentiellement grâce à ses économies et au soutien financier d’amis de l’étranger. Sur Nosy Be, même les hôtels de luxe ont fermé en attendant la réouverture des frontières.
« Il est encore très difficile de chiffrer l’impact de la pandémie sur la filière du tourisme », explique Johann Pless, président de la Fédération des hôteliers et restaurateurs de Madagascar (Fhorm) et administrateur de la confédération du tourisme : « En ce moment, les centres fiscaux n’acceptent pas les dépôts de bilan. La plupart des fermetures sont officieuses. » Si le tourisme à Madagascar ne représente que 7 % du PIB, il génère 44 000 emplois directs et, sur toute la chaîne de valeur, fait vivre environ 1,5 million de personnes, selon la Fhorm. « Nous n’en sommes qu’aux prémices d’une crise économique grave », estime Johann Pless. Celui-ci redoute que de nombreux établissements, qui ont cumulé les reports de paiement, fassent faillite au moment de leur réouverture.
Au-delà des opérateurs touristiques, c’est tout l’écosystème de l’archipel de Nosy Be qui est affecté, des vendeurs de rue aux artisans, en passant par les chauffeurs de « tuk-tuk » ou les pêcheurs. Sur l’île de Nosy Komba, la deuxième plus grosse de l’archipel, 4 000 habitants vivent exclusivement du tourisme. Devant les maisons en bois et aux toits en feuilles de ravinala (une plante typique de la région), on joue ou on se passe des verres de rhum pour occuper les journées.
« Nouveaux jobs »
Avant le coronavirus, Marco (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille) était guide pour les clients d’un hôtel de luxe de Nosy Be. Depuis que l’établissement a fermé, en mars, il est revenu à Nosy Komba, chez ses parents. « Avant, je gagnais un smic [200 000 ariary par mois, soit 42 euros], maintenant c’est plus aléatoire », lâche-t-il. Voilà huit mois qu’il enchaîne les petits boulots et a contracté plusieurs crédits auprès de membres de sa famille. « Heureusement, nous avons la pêche », souffle-t-il. Le prix du poisson, qui se vendait auparavant 10 000 ariary le kilo, a été divisé par deux pendant la pandémie. « Les gens se trouvent de nouveaux jobs, explique Marco en pointant du menton la végétation luxuriante de l’île. Ils vont en forêt, plantent de la vanille, du cacao ou du manioc. Beaucoup d’arbres ont été coupés. »
Après cette annus horribilis, les projections pour le secteur touristique en 2021 ne sont guère optimistes. La Fhorm projette le dépôt de bilan de près de 50 % des établissements touristiques du pays au premier semestre. « Nous avons demandé à l’Etat et aux bailleurs de fonds de prendre en charge l’électricité et les charges patronales d’avril à novembre, ainsi qu’une trêve fiscale et une trêve sur les baux. Les discussions sont toujours en cours », détaille Johann Pless.