Il devient urgent de faciliter l’accessibilité et l’attractivité des destinations, ainsi que la compétitivité des entreprises du tourisme, selon Johann Pless, PCA de la FHORM (Fédération des Hôtels et Restaurants de Madagascar), non moins administrateur de la CTM (Confédération du Tourisme de Madagascar et PCA de l’INTH (Institut National du Tourisme et de l’Hôtellerie). Interview exclusive.
MM (Midi Madagasikara). Le tourisme fait partie des secteurs les plus impactés par la crise de la Covid-19. Comment se présente la situation aujourd’hui ?
Johann Pless (JP). Cela fait 30 mois que nous vivons dans cette épreuve pandémique. Pendant 24 mois – du 19 mars 2020 à fin mars 2022 – nous avons subi des pertes allant jusqu’à 100% pour certains mois et avec un minima de pertes à 90%. Les six derniers mois, les hôtels, les restaurants, les guides et les autres sociétés du tourisme ont réussi à faire des chiffres d’affaires de 5% à 12% suivant les régions où ils sont placés, leurs segments et leurs marchés. Août 2022, nous sommes dans une situation économique et financière extrêmement précaire. Il y a quelques jours, le ministère du Tourisme a annoncé que 69 383 voyageurs internationaux ont débarqué à Ivato et à l’aéroport international de Fascène entre le 1er janvier et le 1er juillet 2022, dont 40 000 sont des non-résidents et parmi lesquels il y a au mieux 13 000 touristes. Cela ne fait que 2 200 touristes par mois, soit 73 touristes par jour, alors que nous avons sur Tanà des milliers de lits à louer et au niveau national des dizaines de milliers de chambres et de lits à louer, disponibles tous les jours de toute l’année. Au niveau national, le taux de remplissage se rapproche donc de zéro. De plus, il n’y a que certaines régions qui sont mieux desservies grâce aux routes et grâce à leurs aéroports qui sont en service et qui leurs permettent d’avoir une activité entre 5% et 12%. Bref, la situation est très disparate, mais dans la globalité, le secteur est encore en crise économique et financière, alors que tous les autres secteurs ont des activités soutenues et fonctionnent à la normale. Pour le tourisme, l’aéroport Fort Dauphin est encore fermé et plusieurs zones enclavées. Il y a également d’autres lieux où c’est très difficile pour les opérateurs et aussi pour toutes les professions du tourisme, particulièrement les chauffeurs-guides et toute la chaîne de valeur de petits entrepreneurs qui vendent leurs produits aux restaurants et aux touristes.
MM. L’Etat a apporté des programmes pour soutenir les différents acteurs du tourisme. Cela a-t-il donné des résultats ? Les discussions se poursuivent-elles avec les autorités ?
JP. L’Etat a apporté son aide via trois programmes directs au secteur tourisme, hébergement, restauration. Le premier, étant le programme Miatrika, a permis, pendant la crise, de garder certains des collaborateurs au sein du secteur via des formations indemnisées. Ce programme compte plusieurs milliers de bénéficiaires sur toute l’île, au niveau des zones d’intervention du PIC (Pôle intégré de croissance). L’Etat a également mis en place le programme Mandrisika adressé aux sociétés dans la vision de pouvoir entretenir les établissements, de pouvoir éventuellement les transformer sur du tourisme durable via des énergies durables ou des formations, tant sur le plan de la gestion, de la communication, etc. pour que les sociétés perdurent même après la Covid. Et enfin, l’Etat a ouvert le fonds de garantie Fihariana pour le tourisme, afin de soutenir les demandes de prêts Miarina auprès des banques primaires pour les établissements du tourisme.
Nous remercions les décisions politiques pour ces trois programmes. Nous sommes toujours en discussion avec les autorités publiques pour pouvoir poursuivre les programmes Miatrika et Mandrisika, car nous sommes encore dans l’épreuve de la Covid-19. D’autres discussions sur la loi de finances initiale 2023 ont eu lieu pour une compétitivité de nos entreprises notamment via une baisse de la TVA pour la restauration à 5%, ou encore pour plus de rotation de plus de sociétés de transport aérien, sur plus d’aéroports à Madagascar.
MM. Madagascar n’accueille que très peu de touristes étrangers par rapport aux autres destinations concurrentes. Selon vous, pourquoi avons-nous du mal à redécoller ?
JP. La plupart des autres destinations concurrentes sont déjà sur une ouverture totale avec une augmentation par trimestre de 100% de leurs accueils touristiques. Il faut s’ouvrir sur l’avenir et ne plus se limiter à la gestion des affaires quotidiennes. Nous avons déjà formé tous nos collaborateurs. Il faut une destination plus attractive car nous avons des produits très compétitifs si l’on ne cite que les plages, la gastronomie, la faune et la flore endémiques, etc.
Ensuite il faudrait avoir plus de possibilités de se rendre en province, c’est-à-dire, plus d’avions et de vols nationaux, quelque soit la compagnie. Tsaradia est incontournable et est extrêmement important pour le pays. En revanche, qu’elle soit la seule compagnie avec ses peu d’avions, freine un tout petit peu la compétitivité du tourisme. Donc sans enlever la compétitivité de Tsaradia, il faudrait pouvoir accueillir d’autres compagnies qui puissent opérer sur le réseau national entre Nosy-Be, Diego, Antananarivo, la SAVA, Fort Dauphin, la partie Est, etc. pour que toutes les villes touristiques puissent être accessibles, car l’état des routes ne le permet pas. On a fait un benchmark international. On voit beaucoup de pays qui font des exemptions de visa pour 30 à 45 jours. Aujourd’hui, Madagascar a le visa gratuit pour moins de 15 jours, mais pourquoi ne pas envisager – pour certains touristes qui vont dépenser un peu plus, apporter plus de recettes fiscales et plus de revenus pour tous les opérateurs et les familles Malagasy – à avoir une exemption pour 30 jours ?
MM. Qu’en est-il du tourisme local ?
JP. Il est maintenant bien clair que le tourisme local ne représente pas plus de 10% des revenus de tout le panier du tourisme. Il est pratiquement dédié à deux zones notamment Mahajanga et Toamasina jusqu’à Foulpointe, qui sont des zones accessibles par la route en moins de 20h, depuis la Capitale. Les zones où il faut plus d’une journée ou un billet d’avion un peu cher ne peuvent pas bénéficier de la masse du tourisme local. Avec un mois de vacances, le tourisme local ne pourra pas combler les 90% du tourisme international en difficulté. Maintenant il faut adapter certains produits qui permettraient de développer le tourisme local, car il y a de vraies pistes d’amélioration et de compétitivité à trouver.
MM. Quelles solutions proposeriez-vous pour relancer et développer tout le secteur ?
JP. Il faut améliorer l’attractivité et la compétitivité pour les entreprises nationales et sur toute la destination Madagascar. Le Ministère du Tourisme nous a déjà exposé une vision relative au développement de nouveaux produits plus adaptés à la demande, de nouvelles destinations, une communication à outrance, etc. Dans ce sens, je pense que nous sommes sur la bonne voie. Mais il faut que cette vision soit accompagnée de faits. Beaucoup ont été réalisés. Mais il faut augmenter la vélocité de travail pour arriver à une destination qui soit accessible, attractive et compétitive. Notre interview résume un petit peu ces trois points. Je vous en remercie. Espérons que dans quelques semaines, nous puissions vendre la destination Madagascar à l’international et en national sans contrainte et au plus de monde possible afin de bénéficier de revenus décents pour nos plus de 40.000 employés directs et aux 1.500.000 Malgaches de la chaîne de valeur.
Source : Tourisme : Un secteur en quête de relance, selon Johann Pless PCS de la FHORM